Une histoire d'Halloween pour les lecteurs
Par l'Association des journaux des Forces canadiennes
Je me souviens `de cette nuit d’Halloween en 1965 comme si c’était hier. À l’époque, nous vivions sur une base militaire, perdue au milieu de nulle part. Des rangées de maisons beiges identiques bordaient les rues de la communauté des quartiers familiaux, et les enfants se connaissaient tous par leur prénom. A l’époque Mon père était en poste sur cette base, et comme les autres gamins, je passais mes journées à courir dans les champs, à me faufiler dans les hangars quand les policiers militaires ne regardaient pas, et à faire semblant de piloter les avions cloués au sol. Ils nous appelaient les « gosses de la base », et nous pensions être intouchables jusqu’à ce fameux 31 octobre.
Cette nuit d’Halloween était différente. L’air était lourd de quelque chose que je ne parvenais pas tout à fait à cerner, une tension qui me faisait dresser les poils sur la nuque. Je n’avais que dix ans à l’époque, mais je n’étais pas stupide. Des histoires circulaient sur la base—des rumeurs sur ce qui s’était passé dans la forêt avant que les maisons ne soient construites en 1953 : des expériences gouvernementales, une cachette pour des meurtriers condamnés et même un enlèvement par des extraterrestres.
Mais pour en revenir à notre histoire, cette nuit-là, nous étions tous dehors pour faire du porte-à-porte emmitouflés dans des costumes improvisés, portant des taies d’oreiller et des citrouilles en plastique. Les rues résonnaient de rires, et l’odeur des feuilles brûlées flottait dans l’air. Mon meilleur ami Jimmy était avec moi, déguisé en cow-boy, moi en pirate, mon épée en plastique cliquetant contre ma jambe tandis que nous courions de maison en maison. La base se surpassait toujours pour Halloween—des décorations aux fenêtres, des citrouilles sculptées sur les porches, et certaines familles transformaient même leur garage en maison hantée.
Mais il y avait une maison que nous n’approchions jamais : celle portant le numéro 23. Elle se tenait au bout de la rue, sombre et silencieuse, avec ses volets fermés. Personne n’y avait vécu depuis des années, du moins pas à ma connaissance. Les adultes disaient qu’elle était vide et qu’elle servait de lieu d’entreposage, mais nous, les enfants… nous savions la vérité. Et c’est justement pourquoi nous nous mettions au défi d’aller jusqu’à la porte.
Jimmy était le plus courageux d’entre nous. Cette nuit-là, après avoir récolté plus de bonbons que nous ne pouvions en manger, il s’est tourné vers moi avec un grand sourire. « Allons à la numéro 23 », dit-il.
J’ai ri pour masquer mon malaise, mais je sentais un nœud se former dans mon estomac. « Pas question », ai-je répondu. « Elle est hantée. »
« Allez, ce n’est qu’une vieille maison après tout », me lanca-t-il tandis que je pouvais voir ses yeux brillants dans la lumière tamisée des lampadaires. « Qu’est-ce qui pourrait bien se passer ? On frappe à la porte, on dit ‘ Merci et Joyeux Halloween !’, et peut-être qu’on obtiendra les meilleurs bonbons de la base. »
Je ne voulais pas y aller, mais je ne voulais pas non plus monter que j’avais peur. Alors je l’ai suivi. Plus nous nous approchions, plus j’avais cet sensation lourd et froid peser sur moi. La maison se dressait devant nous, ses fenêtres comme des yeux vides scrutant l’obscurité. Les autres enfants étaient restés en arrière, nous regardant observant à distance, chuchotant et ricanant, mais leurs voix me semblaient soudain si lointaines.
Nous nous tenions sur les marches du numéro 23, fixant la vieille porte en bois. Je pouvais sentir mon cœur battre à tout rompre, et ma bouche était sèche. Jimmy, bien sûr, était impassible. Il s’est avancé jusqu’à la porte et a frappé.
Le son a résonné dans la nuit, plus fort qu’il n’aurait dû. Pendant un long moment, rien ne se passa et personne ne répondit. J’ai pensé que nous allions peut-être nous en sortir, que nous pourrions retourner vers le groupe en s’amusant de tout cela.
Mais, la porte a grincé tout en s’ouvrant.
Elle ne s’est pas ouverte complètement—juste assez pour que nous puissions voir à l’intérieur. La maison était sombre, et l’air à l’intérieur était moisi et vicié. Une odeur étrange s’en échappait— comme des fleurs fanées mêlées à de la pourriture.
« On devrait partir », ai-je chuchoté en tirant sur la manche de Jimmy. Mais il fixait l’intérieur, les yeux écarquillés.
« Bonjour ? » a-t-il appelé, d’une voix devenue tremblante pour la première fois de la soirée. « Joyeux Halloween ? »
Soudain, de l’obscurité, une voix douce, presque un murmure s’échappa: « Entrez. »
Avant même que je ne puisse réagir, Jimmy a poussé la porte entrouverte, et c’est là que je l’ai vue. Juste une fraction de seconde, dans la faible lumière qui pénétrait depuis le porche : une silhouette se tenait au bout du couloir. Elle était floue, presque comme une ombre, mais je pouvais distinguer la forme d’une femme, avec des tres longs cheveux, des yeux reflétant la lumière comme du verre. Elle était juste là, immobile, nous regardant.
Jimmy, qui ne semblait pas la voir, a alors fait un pas à l’intérieur, et j’ai ressenti le froid glaçant immédiatement. La température a chuté si rapidement que je pouvais voir mon souffle dans l’air.
« Jimmy, il faut qu’on parte », ai-je chuchoté, ma voix à peine audible par-dessus les battements de mon cœur. Mais il m’a ignoré et a continué à avancer dans la maison, ses pieds traînant comme si quelque chose l’attirait. J’étais trop effrayé pour bouger. Mes jambes étaient comme de la pierre.
« Approchez… » a répété la voix, cette fois plus forte mais toujours avec ce ton étrange, presque chantant. Elle ne venait pas de la silhouette dans le couloir. Elle provenait de plus loin dans la maison, peut-etre même de quelque part à l’étage.
Jimmy s’est arrêté au pied de l’escalier, la tête inclinée comme s’il écoutait. « Tu entends ça ? » m’a-t-il demandé, d’une voix lointaine, presque rêveuse.
Je l’avais auss entendue. C’était un léger froissement, comme le murmure du tissu frôlant les murs. Puis, il y a eu un grincement, le craquement indubitable du vieux bois sous un poids.
Soudain, quelque chose a filé en haut des escaliers—un éclat de peau pâle et de cheveux sombres. J’ai saisi le bras de Jimmy, mon cœur battait la chamade. « Il faut qu’on sorte d’ici ! » ai-je soufflé, le tirant vers la porte. Mais c’était trop tard.
La porte s’est refermée derrière nous avec un fracas assourdissant, résonnant dans la maison vide comme un coup de feu. L’obscurité autour de nous semblait nous envahir , plus épaisse et plus lourde, comme si elle était vivante.
« Restez… » a murmuré la voix, venant maintenant de toutes les directions. « Restez avec nous. »
Je pouvais sentir quelque chose de froid effleurer mon cou, comme des doigts glacés ma peau. Le visage de Jimmy était devenu blème, ses yeux grands ouverts remplis de terreur réalisant tout à coup que quelque chose n’allait pas du tout.
La silhouette au bout du couloir a commencé à bouger, glissant vers nous sans faire de bruit, ses pieds flottant juste au-dessus du sol. Sa bouche s’est ouverte, mais aucun mot n’en est sorti—juste un horrible souffle, comme le vent dans les feuilles mortes. Et puis je les ai vus—deux petits enfants, debout derrière elle, leurs visages pales, leurs yeux creux et sombres, comme s’ils nous attendaient depuis toujours.
Je n’ai pas attendu de voir ce qui allait se passer ensuite. J’ai attrapé Jimmy et l’ai tiré vers la porte, priant pour qu’elle s’ouvre. Par miracle, elle s’est ouverte. Nous avons déboulé dans la nuit, haletants, l’air froid brûlant mes poumons.
Nous avons couru sans nous retourner jusqu’à ce que nous soyons en sécurité dans la rue entourés des autres enfants qui nous regardaient médusés. Aucun n’a posé de question sur ce qui s’était passé dans la maison. C’était inutile car tout le monde sur la base savait déjà.
Nous n’avons jamais reparlé de cette nuit, mais je n’oublierai jamais comment cette voix a murmuré dans l’obscurité, nous appelant à l’intérieur. Même maintenant, des décennies plus tard, je l’entends encore dans mes cauchemars.
« Restez avec nous… » dit-elle. Et parfois, je me demande ce qui serait arrivé si nous avions accepté son invitation.